La Première et Dernière Liberté


Jiddu Krishnamurti
Le Livre de Poche - 1995 (
Stock - 1973)
L’individu et la société 
Le problème dont on nous harcèle le plus souvent est celui de savoir si l’individu est l’instrument ou la fin de la société. Vous et moi, en tant qu’individus, devons nous être dirigés, instruits, contrôlés, façonnés par les gouvernements pour la société ; ou la société, l’Etat, sont-ils au service de l’individu ? L’individu est-il une fin pour la société ou un pantin à instruire, exploiter et mener à l’abattoir pour les besoins de la guerre ? Tel est le problème qui se dresse devant nous ; c’est le problème du monde actuel ; l’individu est-il un instrument de la société, une pâte à modeler, ou la société existe-t-elle pour l’individu ? 
Comment allons-nous trouver la réponse à ces questions ? Ce problème est grave, car si l’individu est l’instrument de la société, celle-ci est plus importante que lui. Si cela est vrai, il nous faut abandonner notre individualité et travailler pour la société ; tout notre système d’éducation doit se conformer à cette idée et l’individu doit-être transformé en un instrument pour la société, laquelle, ensuite s’en débarrassera, le liquidera, le détruira. Mais si la société existe pour l’individu, sa fonction n’est pas de lui apprendre à se conformer à un modèle quel qu’il soit, mais de lui insuffler le sentiment, l’appel de la liberté. Il nous faut donc trouver lequel de ces deux points de vue est faux.

Apprendre sans l'école

John Holt
éditions l'Instant Présent - 2012

Extrait du premier chapitre "Agir c'est apprendre" :
Tout le monde ne donne pas au mot « éducation » le sens que je lui donne. Pour moi, l’éducation c’est « quelque chose que l’on se donne à soi-même, et non pas quelque chose qui est donné ou fait par quelqu’un d’autre. » J’ai cependant choisi d’utiliser ici ce mot avec le sens que lui donnent la plupart des gens, c'est-à-dire l’ensemble de ce que font des personnes – des éducateurs – à d’autres gens pour leur bien, en les modelant, en les façonnant, et en tentant de leur faire apprendre ce qu’elles-mêmes estiment qu’ils devraient savoir. Aujourd’hui, partout dans le monde, c’est ce que « l’éducation » est devenue et c’est contre cela que je m’insurge. On passe beaucoup de temps – et je l’ai fait moi-même pendant des années – à parler de la façon dont on pourrait rendre « l’éducation » plus opérante, efficace et vraiment universelle, ou encore à discuter des manières de la réformer et de l’humaniser. 
Hélas, la rendre plus opérante et efficace la rendra pire encore et lui permettra de causer toujours plus de dégâts. On ne peut pas la réformer, on ne peut pas la rendre plus sage ou plus humaine : ses objectifs ne sont ni sages ni humains. 
Juste après le droit à la vie, le plus fondamental des droits de l’homme est celui d’être maître de son esprit et de ses pensées. Cela implique le droit à décider soi-même comment on va explorer le monde qui nous entoure, celui d’évaluer ses propres expériences et celles des autres, et enfin le droit de chercher et de donner un sens à sa vie. Quiconque nous ôte ce droit, tout éducateur soit-il, s’attaque à l’essence même de notre être et nous cause une blessure profonde et durable. Car il nous affirme ainsi que nous ne pouvons pas nous faire confiance à nous-mêmes, même pour penser, que notre vie durant nous dépendront des autres pour connaître le sens du monde et celui de notre vie, et nos propres interprétations, faites au regard de nos expériences, n’ont aucune valeur. 
L’éducation, avec son fer de lance qu’est le système de scolarité obligatoire, avec toutes ses carottes, ses bâtons, ses notes, ses diplômes et ses références, m’apparaît aujourd’hui comme la plus autoritaire et la plus dangereuse des inventions humaines. C’est la racine la plus profonde de l’état d’esclavage moderne et mondialisé, dans lequel la plupart des gens ne se sentent rien d’autre que producteurs, consommateurs, spectateurs et « fans », motivés de plus en plus, dans tous les aspects de leur vie, par l’appât du gain, l’envie et la peur. 
Mon propos n’est donc pas d’améliorer « l’éducation » mais de faire sans, d’en finir avec ce système de formatage affreux et anti-humain, et de laisser enfin les gens se construire eux-mêmes.

Le maître ignorant

Jacques Rancière
Fayard - 1987

10-18 - 2004

En 1818, Joseph Jacotot, révolutionnaire exilé et lecteur de littérature française à l'université de Louvain, commença à semer la panique dans l'Europe savante. Non content d'avoir appris le français à des étudiants flamands sans leur donner aucune leçon, il se mit à enseigner ce qu'il ignorait et à proclamer le mot d'ordre de l'émancipation intellectuelle : tous les hommes ont une égale intelligence. Il ne s'agit pas de pédagogie amusante, mais de philosophie et de politique. Jacques Rancière offre, à travers la biographie de ce personnage étonnant, une réflexion philosophique originale sur l'éducation. La grande leçon de Jacotot est que l'instruction est comme la liberté elle ne se donne pas, elle se prend.
On peut ainsi rêver une société d’émancipés qui serait ainsi une société d’artistes. Une telle société répudierait le partage entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, entre ceux qui possèdent ou ne possèdent pas la propriété de l’intelligence. Elle ne connaîtrait que des esprits agissants : des hommes qui font, qui parlent de ce qu’ils font et transforment ainsi, toutes leurs œuvres en moyens de signaler l’humanité qui est en eux comme en tous. De tels hommes sauraient que nul ne naît avec plus d'intelligence que son voisin, que la supériorité qu'un tel manifeste est seulement le fruit d'une application à manier les mots aussi acharnée que l'application d'un autre à manier ses outils ; que l'infériorité de tel autre est la conséquence de circonstances qui ne l'ont pas contraint à en chercher davantage. Bref, ils sauraient que la perfection mise par tel ou tel à son art propre n'est que l'application particulière du pouvoir commun à tout être raisonnable, celui que chacun éprouve, lorsqu'il se retire dans ce huis clos de la conscience où le mensonge n'a plus de sens. Ils sauraient que la dignité de l'homme est indépendante de sa position, que « l’homme n’est pas né pour telle position particulière mais pour être heureux en lui-même indépendamment du sort » et que ce reflet de sentiment qui brille dans les yeux d’une épouse, d’un fils ou d’un ami chers présente au regard d’une âme sensible assez d’objets propres à le satisfaire.
De tels hommes ne s’affaireraient pas à créer des phalanstères où les vocations répondent aux passions, des communautés d’égaux, des organisations économiques distribuant harmonieusement les fonctions et les ressources. Pour unir le genre humain, il n’y a pas de meilleur lien que cette intelligence identique en tous. C’est elle qui est la juste mesure du semblable, éclairant ce doux penchant du cœur qui nous porte à nous entraider et à nous entr’aimer. C’est elle qui donne au semblable les moyens de mesurer l’étendue des services qu’il peut espérer du semblable et de préparer les moyens de lui témoigner sa reconnaissance. Mais n’en parlons pas à la manière des utilitaristes. Le principal service que l’homme peut attendre de l’homme tient à cette faculté de se communiquer le plaisir et la peine, l’espérance et la crainte, pour s’en émouvoir réciproquement : « Si les hommes n’avaient pas la faculté, une faculté égale, de s’émouvoir et de s’attendrir réciproquement, ils deviendraient bientôt étrangers les uns aux autres ; ils s’éparpilleraient au hasard sur le globe et les sociétés seraient dissoutes (…) L’exercice de cette puissance est à la fois le plus doux de tous nos plaisirs, comme le plus impérieux de tous nos besoins. »
Ne demandons donc point quelles seraient les lois de ce peuple de sages, les magistrats, leurs assemblées et leurs tribunaux. L’homme qui obéit à la raison n’a pas besoin de lois ni de magistrat. Les stoïciens déjà savaient cela : la vertu qui se connaît elle-même, la vertu de se connaître soi-même est puissance de toutes les autres. Mais nous savons, nous, que cette raison-là n’est pas le privilège des sages. Il n’y a d’insensés que ceux qui tiennent à l’inégalité et à la domination, ceux qui veulent avoir raison. La raison commence là où cessent les discours ordonnés à la fin d’avoir raison, là où est reconnue l’égalité : non pas une égalité décrétée par loi ou par force, non pas une égalité reçue passivement, mais une égalité en acte, vérifiée à chaque pas de ces marcheurs qui, dans leur attention constante à eux-mêmes et dans leur révolution sans fin autour de la vérité, trouvent les phrases propres à se faire comprendre des autres.
Il faut donc retourner les questions des rieurs. Comment, demandent-ils, une chose comme l’égalité des intelligences est-elles pensable ? Et comment son opinion pourrait-elle s’installer sans provoquer le désordre de la société ? Il faut demander à l’inverse comment l’intelligence est possible sans l’égalité ? L’intelligence n’est pas puissance de comprendre qui se chargerait elle-même de comparer son savoir à son objet. Elle est puissance de se faire comprendre qui passe par la vérification de l’autre. Et seul l’égal comprend l’égal. Egalité et intelligence son termes synonymes, tout comme raison et volonté. Cette synonymie qui fonde la capacité intellectuelle de chaque homme est aussi celle qui rend une société en général possible. L’égalité des intelligences est le lien commun du genre humain, la condition nécessaire et suffisante pour qu’une société d’hommes existe. « Si les hommes se considéraient comme égaux, la constitution serait bientôt faite. » Il est vrai que nous ne savons pas que les hommes soient égaux. Nous disons qu’ils le sont peut-être. C’est notre opinion et nous tâchons, avec ceux qui le croient comme nous, de la vérifier. Mais nous savons que ce peut-être est cela même par quoi une société d’hommes est possible.

Une société sans école

Ivan Illich
Editions du Seuil - 1971
La déscolarisation est notre responsabilité personnelle, et il revient à chacun de nous de trouver en lui la force nécessaire. Il faut comprendre que si nous ne nous libérons pas de l’éducation scolaire, cela est sans excuse. Quand les hommes ce sont-ils affranchis de la monarchie ? Lorsque certains d’entre eux se sont libérés de l’Eglise établie. Et s’ils veulent s’affranchir de la consommation envahissante, ils doivent d’abord se libérer de l’école obligatoire.
Nous sommes tous prisonniers du système scolaire, si bien qu’une croyance superstitieuse nous aveugle, nous persuade que le savoir n’a de valeur que s’il nous est imposé, puis nous l’imposerons à d’autres – production et reproduction du savoir. Et notre effort pour nous libérer de l’école fera apparaître les résistances que nous rencontrons en nous-mêmes lorsque nous tentons de renoncer à la consommation sans limite, d’abandonner cette suffisance qui nous pousse à croire que nous pouvons agir sur les autres pour leur bien ! Dans le système scolaire, qui échapperait à l’exploitation d’autrui ?

Insoumission à l'école obligatoire

Catherine Baker
Bernard Barrault éditeur - 1985
Tahin Party pour la réédition - 2006

Le drame, chérie, c’est que je ne sais pas ce qu’est un enfant. La
grande différence que je vois entre ce qu’on appelle un adulte et un
enfant, c’est que le premier, dans l’ordre des probabilités, est plus près
de la mort.
Il s’ensuit que je ne rejette pas seulement l’école mais aussi l’éducation
(et a fortiori toute pédagogie), si ce n’est l’éducation réciproque qui
a cours entre toutes personnes égales amenées à se fréquenter ; mais
utilisera-t-on alors ce mot ?
Avant toutes choses, nous garderons donc bien à l’esprit que nous
ne pouvons entendre quiconque parler d’éducation sans préalablement
l’interroger sur la conception qu’il se fait de l’enfance. C’est ici que se
noue la grande affaire.
Quant à moi, je n’emploierai les mots « adulte » ou « enfant » que
pour désigner des personnes plus ou moins éloignées de leur naissance
(douées éventuellement des caractéristiques socioculturelles que leur
impose l’entourage).
Il ne t’a pas fallu douze ans pour comprendre qu’ordinairement qui
dit enfant dit « futur adulte » : l’enfant n’est rien dans son présent qu’un
devenir. On admet alors sans peine que c’est par la force qu’il faille
préparer un être au servage huit heures par jour (sept heures et demi si
on croit aux lendemains qui…), cinq jours par semaine, onze mois par
an et quarante ans de sa vie. Bien sûr, on a dit sur tous les tons une
vérité très simple : qu’il était nécessaire de créer et de produire pour se
loger, se nourrir, avoir chaud, se faire plaisir, etc., mais que deux heures
de production quotidiennes apparaissaient déjà plus que raisonnables
dans la société telle qu’elle est. Ça, vois-tu, ce n’est pas en le démontrant
qu’on le fait admettre ; c’est en s’y employant.
En attendant, le mépris évident que les adultes nourrissent à leur
égard vient de ce que les enfants sont matériellement à leur merci,
n’ayant aucun moyen d’acquérir leur indépendance financière ; ils sont
dits adultes lorsqu’ils deviennent productifs.

Les éditions Tahin Party

s'évader de l'enfance

John Holt
Payot - 1976

Ce livre a pour sujet les jeunes et la place qu’ils occupent, ou plutôt n’occupent pas, dans la société actuelle. Nous traiterons donc de l’institution qu’est actuellement l’enfance, des attitudes, coutumes et lois qui définissent et situent les enfants dans la vie moderne et qui, dans une large mesure, déterminent la forme prise par leur existence et la façon dont nous, leurs aînés, les traitons. Nous parlerons également des nombreuses raisons que j’ai d’estimer qu’être enfant, à notre époque, est une triste situation, du moins pour la plupart d’entre eux, et des moyens grâce auxquels je crois possible de remédier à cet état de fait. Pendant longtemps, il ne me serait pas venu à l’idée de remettre cette institution en question. Ce n’est que depuis quelques années que je commence à me demander si la jeunesse ne pourrait pas bénéficier d’un genre de vie différent et peut-être meilleur. Actuellement j’en viens à me dire que le fait d’être un « enfant », soumis à une dépendance absolue, et d’être considéré par les plus âgés comme un mélange d’animal encombrant et coûteux, d’esclave et de super-jouet, que cette situation dis-je, fait plus de mal que de bien à la plupart des jeunes.
Je propose de la remplacer par une situation où les droits, privilèges, devoirs et responsabilités des adultes seraient accessibles à tout enfant ou adolescent qui souhaiterait en faire usage. Ces droits comprendraient entre autre : 
1. Le droit d’être traité par la loi sans discrimination, autrement dit de ne pas être traité plus mal, dans une situation donnée, que le serait un adulte. 
2. Le droit de vote et celui de prendre part à la vie politique dans sa totalité. 
3. Le droit d’être juridiquement responsable de sa vie et de ses actes.
4. Le droit de travailler et de disposer de ses biens.
5. Le droit d’avoir une vie privée.
6. Le droit à l’indépendance et à la responsabilité financière, autrement dit celui de posséder, acheter et vendre des biens, d’emprunter de l’argent, de faire crédit, de signer des contrats, etc. 
7. Le droit de faire les études que l’on entend et comme on l’entend. 
8. Le droit de voyager, de vivre en dehors de sa famille, de choisir et d’installer son cadre de vie. 
9. Le droit de recevoir de l’Etat tout revenu minimum qu’il garantit aux citoyens adultes. 
10. Le droit d’entrer, sur simple consentement mutuel, dans des rapports de type familial avec d’autres personnes que ses parents, autrement dit le droit de rechercher et de choisir des tuteurs parmi des tiers, afin de devenir dépendant d’eux sur le plan juridique. 
11. D’une façon générale, le droit de faire ce que n’importe quel adulte a légalement le droit de faire.

Libres enfants de Summerhill

A.S. Neill
Maspero - 1970
première édition 1960

L’idée commune que les bonnes habitudes qui ne nous ont pas été inculquées de force dans notre prime enfance ne peuvent se développer en nous plus tard dans la vie est une idée avec laquelle nous avons été élevés et que nous acceptons aveuglément, tout simplement parce qu’elle n’a jamais été contestée. Pour ma part, je la renie.
La liberté est nécessaire à l’enfant parce que seule la liberté peut lui permettre de grandir naturellement – de la bonne façon. Je vois les résultats de l’asservissement dans mes nouveaux élèves en provenance d’écoles secondaires de toutes sortes. Ils ne sont qu’un tas d’hypocrites, avec une fausse politesse et des manières affectées.
Leur réaction devant la liberté est rapide et exaspérante. Pendant les deux premières semaines ils tiennent les portes pour laisser passer leurs professeurs, ils m’appellent « Monsieur » et se lavent soigneusement. Ils regardent dans ma direction avec respect, ce que je reconnais facilement comme de la crainte. Après quelques semaines de liberté, ils montrent leur vrai visage. Ils deviennent impudents, sans manières, crasseux. Les font toutes les choses qui leur ont été défendues dans le passé : ils jurent, ils fument, ils cassent des objets. Et pendant tout ce temps, ils ont une expression polie et fausse dans les yeux et dans la voix.
Il leur faut dix mois pour perdre leur hypocrisie. Après cela ils perdent leur déférence envers ce qu’ils regardaient auparavant comme l’autorité. Au bout de dix mois environ, ce sont des enfants naturels et sains qui disent ce qu’ils pensent, sans rougir, ni haïr. Quand un enfant grandit librement dès son jeune âge, il n’a pas besoin de traverser ce stade de mensonge et de comédie. La chose la plus frappante à Summerhill, c’est la sincérité de ses élèves.
La question de la sincérité dans la vie et vis-à-vis de la vie est primordiale. C’est ce qu’il y a de plus primordiale au monde. Chacun réalise la valeur de la sincérité de la part de nos politiciens (tel est l’optimisme du monde), de nos juges, de nos magistrats, de nos professeurs, de nos médecins. Cependant, nous éduquons nos enfant de telle façon qu’ils n’osent être sincères.
Il se peut que la plus grande découverte que nous ayons faite à Summerhill, c’est qu’un enfant naît sincère. Nous avons décidé de laisser les enfants tranquilles afin de découvrir leur véritable nature. C’est la seule façon de procéder avec eux.
Un documentaire sur Dalymotion :
les-enfants-de-summerhill-1
les-enfants-de-summerhill-2

Nouvelles de nulle part

William Morris
L'Altiplano - 2009
Aubier - 1992 (pour la version bilingue)
Si romantiques que fussent les bois de Kensington, ils n’étaient pas cependant déserts. Nous croisions de nombreux groupes de promeneurs qui se dirigeaient soit dans un sens, soit dans l’autre, ou qui flânaient à la lisière des arbres. Parmi eux se trouvaient nombre d’enfants, depuis l’âge de six ans ou huit ans, jusqu’à seize ou dix-sept. Ils me parurent être des spécimens particulièrement beaux de leur race, et de toute évidence s’amusaient autant qu’il se peut faire ; certains flânaient autour de petites tentes dressées sur le gazon, près desquelles brûlaient parfois des feux, avec des marmites suspendues à la bohémienne. Dick m’expliqua qu’il y avait quelques maisons éparses dans la forêt, et à la vérité nous en aperçûmes une ou deux. Il dit qu’elles étaient toutes petites pour la plupart, de celles qui s’appelaient autrefois des « cottages », à l’époque où il y avait encore des esclaves dans le pays, mais qu’elles ne manquaient pas d’agrément et qu’elles convenaient assez bien pour vivre dans les bois.
« Elles doivent être abondamment fournies en enfants », dis-je en montrant toute cette jeunesse qu’on voyait un peu partout sur le chemin.
« Oh ! dit-il, ils ne viennent pas tous des maisons voisines, des maisons forestières, mais de toute la région. Ils viennent en groupe jouer dans les bois des semaines d’affilée pendant l’été, couchant sous la tente, comme vous voyez. Nous les y encourageons volontiers ; ils apprennent à se tirer d’affaire et s’habituent à observer la vie animale ; et puis, voyez-vous, moins ils restent à croupir dans les maisons, mieux ça vaut pour eux. À vrai dire, je vous avouerai que beaucoup d’adultes vont passer l’été dans les bois ; la plupart cependant fréquentent les grandes forêts comme celle de Windsor, ou la forêt de Dean, ou les grandes étendues inhabitées du Nord. Indépendamment des autres joies que cela leur procure, ils y trouvent l’occasion de faire un peu de gros travail qui, j’ai le regret de le dire, se fait plutôt rare depuis cinquante ans. »
Il s’interrompit, puis reprit :
« Je vous raconte tout cela, parce que je vois bien que, si je parle, ce doit être pour répondre aux questions que vous avez dans l’esprit, même si vous ne les formulez pas. Mais mon aïeul vous renseignera plus amplement. »
Je vis que je me trouvais en danger de perdre pied de nouveau ; aussi, pour mettre fin à une situation embarrassante, et pour dire quelque chose, je constatai :
« Eh bien, ces jeunes gaillards n’en seront que plus dispos quand l’été sera fini et qu’il leur faudra retourner sur les bancs de l’école.
– Les bancs de l’école ? dit-il ; en vérité, qu’entendez-vous par là ? Je ne vois pas ce que ces mots peuvent avoir à faire avec les enfants. Nous parlons bien de bancs de harengs et d’écoles de peinture, et dans le même sens que la première de ces expressions, on pourrait parler de bancs de jeunes enfants ; mais à part cela, ajouta-t-il en riant, je dois m’avouer battu.
– Diable ! pensai-je, je ne puis ouvrir la bouche sans créer quelque nouvelle complication. »
Je n’éprouvais nul désir de reprendre mon ami sur son étymologie ; et je pensai que le mieux était de ne rien dire des fermes d’élevage que j’avais été accoutumé à appeler des écoles, puisqu’aussi bien je pouvais me rendre compte qu’elles avaient disparu ; je répondis donc après quelques instants d’embarras :
« J’employais ce terme pour désigner un système d’éducation.
– D’éducation, dit-il d’un ton pensif. Je sais assez de latin pour savoir que ce mot doit venir de educere, faire sortir ; et je l’ai souvent entendu prononcer ; mais je n’ai jamais trouvé personne capable de m’expliquer clairement ce qu’il veut dire. »
On devine à quel point mes nouveaux amis baissèrent dans mon estime, lorsque j’entendis cet aveu sans détour ; et je dis, d’un air supérieur :
« Eh bien donc, par éducation on désigne un système d’enseignement pour la jeunesse.
– Et pourquoi pas pour la vieillesse également ? dit-il, une lueur d’amusement dans les yeux. Mais, poursuivit-il, je puis vous assurer que nos enfants s’instruisent, qu’ils soient ou non soumis à un d’enseignement. Sachez que vous ne trouverez pas un seul enfant, garçon ou fille, parmi tous ceux que vous voyez ici, qui ne sache nager. Et tous, ils ont appris à monter à la diable les petits poneys de la forêt – tenez, en voici un, justement. Ils savent tous faire la cuisine. Pour les garçons, les plus grands savent faucher ; beaucoup savent faire un toit de chaume et des petits travaux de menuiserie ; ou bien encore ils savent tenir une boutique. Je puis vous assurer qu’ils ont appris une foule de choses.
– Oui, mais leur éducation intellectuelle, les disciplines de l’esprit ? lui dis-je, traduisant obligeamment mes paroles.
– Hôte, dit-il, peut-être n’avez-vous pas appris à faire toutes ces choses dont je viens de vous parler ; si tel est le cas, n’allez pas vous imaginer qu’elles n’exigent aucune habileté et ne font pas activement travailler l’esprit ; vous changeriez d’avis si vous voyiez un jeune gars du Dorset refaire un toit de chaume, par exemple. Mais il me paraît que vous voulez parler de ce qu’on apprend dans les livres : pour cela, rien de plus simple. La plupart des enfants, voyant traîner des livres autour d’eux, trouvent le moyen de savoir lire quand ils atteignent l’âge de quatre ans ; je me suis laissé dire, cependant, qu’il n’en fut pas toujours ainsi. Quant à l’écriture, nous ne les encourageons pas à griffonner trop tôt (bien que rien ne puisse les en empêcher tout à fait), car ils prennent ainsi l’habitude d’une vilaine écriture ; et à quoi bon tant de pattes de mouche, quand il est si facile de faire de l’impression ordinaire. Comprenez-moi bien : nous aimons la belle écriture, et beaucoup de gens, quand ils font un livre, tiennent à le transcrire eux-mêmes tout au long, ou bien ils le font copier : j’entends les livres dont on n’a besoin que de quelques exemplaires – des poèmes et autres choses de ce genre, vous comprenez… Enfin, je m’égare loin de mes moutons. Il faut m’en excuser, car je m’intéresse tout particulièrement à cette question de l’écriture, étant moi-même calligraphe.
– Bon, dis-je, mais les enfants ? Quand ils savent lire et écrire, n’apprennent-ils pas autre chose, les langues par exemple ?
– Évidemment, dit-il ; quelquefois même avant de savoir lire, ils parlent le français, c’est-à-dire la plus proche de nous parmi les langues qui se parlent de l’autre côté de l’eau ; et ils ne tardent pas à savoir aussi l’allemand, qui se parle sur le continent, dans un très grand nombre de communes et d’universités. Telles sont les différentes langues qui se pratiquent dans nos îles, en même temps que l’anglais et le gallois, ou encore l’irlandais qui est une autre forme de gallois. Et les enfants ont vite fait de s’y mettre, car tous leurs aînés les connaissent ; de plus, nos hôtes d’outre-Manche amènent souvent leurs enfants avec eux ; les gosses vont ensemble et ainsi se fait par frottement l’échange de leurs langues maternelles.
– Et les langues anciennes ? demandai-je.
– Oh ! oui, dit-il, ils apprennent pour la plupart le latin et le grec en même temps que les langues modernes pour peu qu’ils ne se contentent pas d’apprendre celles-ci au petit bonheur.
– Et l’histoire, dis-je ; comment enseignez-vous l’histoire ?
– Eh bien, dit-il, quand quelqu’un sait lire, il lit ce qu’il lui plaît, naturellement. Et il lui est facile de trouver quelqu’un pour lui indiquer les meilleurs ouvrages à lire sur tel ou tel sujet, ou pour lui expliquer ce qu’il ne comprend pas dans les livres qu’il lit.
– Fort bien, lui dis-je, et qu’apprennent-ils encore ? Car je suppose que tout le monde n’étudie pas l’histoire ?
– Oh ! non, dit-il ; il y en a qui n’en ont pas le goût ; en fait je ne crois pas qu’elle plaise à beaucoup. J’ai entendu dire par mon arrière-grand-père que c’est surtout dans les périodes de troubles, de conflits et de désordre que les gens ont du goût pour l’histoire ; et, dit mon ami avec un aimable sourire, ce n’est pas notre cas à présent, vous savez. Non, beaucoup étudient comment sont faits les objets, et les relations de cause à effet, et nous accroissons ainsi la somme de nos connaissances, ce qui n’est pas forcément un bien ; et d’autres, comme on vous l’a dit de l’ami Bob, là-bas, passent leur temps à étudier les mathématiques. Il ne sert à rien de forcer les goûts.
– Mais vous n’allez pas me dire que les enfants apprennent toutes ces choses ?
– Cela dépend, dit-il, ce que vous entendez par enfants. Il faut vous rappeler aussi combien ils sont différents les uns des autres. En règle générale, ils ne lisent guère, à l’exception de livres de contes, jusqu’à l’âge de quinze ans ; nous n’encourageons pas les études livresques pendant le jeune âge ; bien qu’il se trouve des enfants qui témoignent de très bonne heure d’un goût décidé pour les livres ; ce qui ne leur vaut peut-être rien, mais il ne sert à rien de les contrarier ; et le plus souvent, cela leur passe assez vite et ils se rangent avant leur vingtième année. Les enfants, voyez-vous, ont surtout l’habitude d’imiter leurs aînés, et lorsqu’ils voient la plupart des personnes qui les entourent s’employer à des ouvrages vraiment divertissants, comme de construire une maison, paver une rue, jardiner, et autres occupations du même genre, c’est ce qu’ils désirent faire, eux aussi ; je ne crois donc pas que nous ayons à craindre d’avoir trop de gens nourris de connaissance livresque. »
Que pouvais-je répondre ? Je demeurai coi, de peur de complications nouvelles. D’ailleurs j’occupais activement mes yeux, tout en me demandant, tandis que le cheval allait son petit train, quand nous arriverions à Londres même et à quoi ressemblait maintenant cette ville.
Mais mon compagnon ne pouvait renoncer entièrement à son sujet, et il continua d’un air pensif :
« Après tout, je ne sache pas qu’ils en souffrent beaucoup, même ceux qui grandissent pour étudier dans des livres. Quant à ceux-là, c’est plaisir de les voir si heureux de faire un travail que peu de gens recherchent. Et puis, ces lettrés sont en général d’un commerce si agréable ; si aimable et d’humeur si égale ; si modestes et en même temps si désireux d’apprendre à chacun tout ce qu’ils savent. Vraiment, ceux que j’ai rencontrés me sont prodigieusement sympathiques. »
Les éditions de L'Altiplano où l'on peut retrouver l'intégralité du texte en ligne.

Les Apprentissages autonomes

John Holt
l'Instant Présent - 2011
Il est à la fois vrai et trompeur de dire que les enfants veulent apprendre. Oui, il veulent apprendre, mais de la même manière qu'ils veulent respirer. Apprendre, pas plus que respirer, n'est un acte volontaire pour les jeunes enfants. Ils ne pensent pas : "maintenant, je vais apprendre ceci ou cela." C'est dans leur nature de chercher autour d'eux, d'embrasser le monde avec leurs sens et de lui donner du sens, sans savoir pour autant comment ils le font, ni même qu'ils le font. L'une des plus grandes erreurs que nous commettons avec les enfants est de les rendre conscients de leurs apprentissages, car ils commencent alors à se demander : " Est-ce que je suis en train d'apprendre ou pas ?" La vérité est que toute personne qui vit réellement, qui s'expose à la vie et qui va à sa rencontre avec énergie et enthousiasme, est en même temps en train d'apprendre. Ce sont les inquiétudes au sujet des apprentissages qui éteignent les apprentissages des enfants. Quand ils commencent à voir le monde comme un lieu plein de dangers dont ils doivent se protéger, quand ils commencent à vivre moins librement et pleinement, c'est à ce moment-là que se flétrissent leurs capacités d'apprentissage.
Les édition l'Instant Présent

Le Zoo sans éléphant

Ren Saito
L'Ecole des loisirs 1989

Les enfants de cette époque étaient différents.
C'étaient des enfants qui avaient vécu la guerre, ils avaient porté sur leur dos des sacs plus lourds qu'eux et traversé des flammes pour fuir lors des bombardements. Ceux dont le père était mort au combat avaient aidé leur mère, ramassé du bois pour le chauffage, transporté des seaux d'eau... Il y avait ceux qui, comme Hide, avaient travaillé dès l'age de huit ans et s'étaient occupés de leurs petites sœurs...
C'est pourquoi les enfants de cette époque avaient confiance en eux-mêmes et savaient se débrouiller pour survivre.
Et il y a aussi une autre raison.
Pendant la guerre, les adultes - les pères et les maîtres d'école - leur avaient répété sans cesse : "Rien n'est plus important que l'amour de la patrie !"
Pour cet amour de la patrie, les pères étaient morts par milliers...
Pour cet amour de la patrie, on avait tué les éléphants du zoo...
Puis le Japon avait perdu la guerre et le général MacArthur avait déclaré : "Tout ce que l'on vous a enseigné jusqu'à maintenant était faux."
Du jour au lendemain, à l'école, on avait fait rayer à l'encre noire tout ce qui était faux dans les livres de japonais et d'histoire que l'on avait utilisés jusqu'à la veille... Et les manuels dont les enfants avaient pris tant de soin s'étaient retrouvés tout noirs à force d'être passés à l'encre, car il y avait beaucoup plus de mensonges que de choses vraies dedans !
C'est pourquoi les enfants de cette époque savaient qu'il ne faut pas croire naïvement tout ce que disent les adultes. Il vaut mieux discuter et réfléchir entre nous, pensaient-ils.
Les enfants du quartier de Taito, qui se trouve près du zoo de Ueno, avaient formé une "Assemblée des enfants de Taito" qui se réunissait dans le bâtiment principal du temple du quartier. Comme au parlement ou au conseil municipal, ils avaient élu un "Président" et discutaient de toutes sortes de problèmes.
Lors de la deuxième réunion, on évoqua la lettre de Hide qui était parue dans le journal.
"Je propose que nous discutions du problème des éléphants du zoo de Ueno", dit Tokishi.
C'était un garçon de douze ans : c'est lui qui avait été élu "président". A côté de lui était assise Naoko, la "vice-présidente".
Les avis fusent de toutes parts.
"Réunissons suffisamment d'argent et achetons un éléphant !"
Facile à dire, mais même en supposant qu'on en trouve un à vendre en Inde ou en Thaïlande, comment faire pour le ramener au Japon ? C'est impossible.
"Demandons à MacArthur !" fit une voix.
"Les Américains nous envoient déjà plein de provisions et d'habits ; malgré cela il y a encore des enfants qui n'ont pas assez à manger. Laissons MacArthur tranquille, il a assez de soucis comme ça."
Ce soir-là, la séance se termina sur un conseil de Tokishi.
"Cherchons par quel moyen faire revenir des éléphants au zoo de Ueno."
Une dizaine de jours passèrent quand Takashi, un des membres de l'Assemblée des enfants dont le père était allé à Nagoya pour son travail, apprit ue nouvelle extraordinaire.
On croyait que tous les éléphants du Japon avaient été tués, mais en fait il y en avait deux au zoo de Higashiyama à Nagoya !
Takashi se précipita chez Tokishi.
"Quoi ! il y a des éléphants vivants au zoo de Nagoya ?"
"Oui, ils s'appellent Eldo et Manika !"
"Formidable !"
Trois jours après, le 2 mai, les enfants de Taito tinrent une réunion extraordinaire.
"Au Japon aussi, il restent des éléphants vivants !"
Les yeux de soixante enfants s'illuminèrent de joie.
"Il faut absolument que le zoo de Nagoya nous les prête !"
"Oui, mais est-ce qu'ils voudront bien ?" fit remarquer Tokishi.
"Il paraît que dans trois jours s'ouvrira l'Assemblée des enfants de Nagoya. Envoyons-leur une délégation pour leur expliquer que nous, les enfants de Tokyo, nous voulons voir de vrais éléphants... on verra bien..."
Tout le monde applaudit et la proposition est adoptée. Ce seront Tokishi et Naoko, le "président" et la "vice-présidente", qui iront à Nagoya.
l'école des loisirs

Le Droit à la paresse

Paul Lafargue
Allia - 1999
première édition 1880
Et si les douleurs du travail forcé, si les tortures de la faim se sont abattues sur le prolétariat, plus nombreuses que les sauterelles de la Bible, c’est lui qui les a appelées.
Ce travail, qu’en juin 1848 les ouvriers réclamaient les armes à la main, ils l’ont imposé à leurs familles ; ils ont livré, aux barons de l’industrie, leurs femmes et leurs enfants. De leurs propres mains, ils ont démoli leur foyer domestique, de leurs propres mains ils ont tari le lait de leurs femmes : les malheureuses, enceintes et allaitant leurs bébés, ont dû aller dans les mines et les manufactures tendre l’échine et épuiser leurs nerfs ; de leurs propres mains, ils ont brisé la vie et la vigueur de leurs enfants. — Honte aux prolétaires ! Où sont ces commères dont parlent nos fabliaux et nos vieux contes, hardies aux propos, franches de la gueule, amantes de la dive bouteille ? Où sont ces luronnes, toujours trottant, toujours cuisinant, toujours courant, toujours semant la vie, en engendrant la joie, enfantant sans douleurs des petits sains et vigoureux ?… Nous avons aujourd’hui les filles et les femmes de fabrique, chétives fleurs aux pâles couleurs, au sang sans rutilance, à l’estomac délabré, aux membres alanguis !… Elles n’ont jamais connu le plaisir robuste et ne sauraient raconter gaillardement comment l’on cassa leur coquille ! — Et les enfants ? Douze heures de travail aux enfants ! Ô misère ! — Mais tous les Jules Simon de l’Académie des sciences morales et politiques, tous les Germinys de la jésuiterie, n’ auraient pu inventer un vice plus abrutissant pour l’intelligence des enfants, plus corrupteur de leurs instincts, plus destructeur de leur organisme, que le travail dans l’atmosphère viciée de l’atelier capitaliste.
Les éditions Allia

L'école mutuelle : Une pédagogie trop efficace ?

Anne Querrien
Les Empêcheurs de penser en rond - 2005

Nous sommes ensorcelés par le capitalisme. Nous travaillons pour lui, nous croyons qu’il faut travailler pour lui, non seulement pour vivre, mais pour augmenter ses profits afin qu’il puisse investir dans de nouvelles productions pour s’assujettir de nouveaux travailleurs, ou les mêmes travaillant plus vite et mieux. Le capitalisme a réussi à nous faire croire un temps que le progrès serait indéfini, que nous serions toujours plus nombreux à profiter de ses avantages, que la planète serait un jour civilisée toute entière, tout entière soumise aux promesses de la république : liberté, égalité, fraternité.
Les guerres, puis la conscience croissante du désastre environnemental, nous ont conduit à douter, à ne plus prendre pour argent comptant un horizon repoussé chaque jour plus loin par la réalité de la production de l’argent, par la financiarisation croissante de l’économie. Les inégalités se creusent.
Le capitalisme a installé déjà depuis plusieurs siècles l’espace où se forgent nos croyances, et où elles se dissipent aussi. Un espace où celui qui y croit réussit, un espace où celui qui doute a les résultats qu’il mérite. Dans cet espace doivent passer obligatoirement tous les petits d’hommes ; dans cet espace ils apprennent à travailler et à se jauger les uns les autres par les résultats de leur travail, et par bien d’autres dimensions non officielles, voire interdites. Cet espace peut-il être un espace de vie ? Accueille-t-il tous les enfants sans exclusive ? Est-ce un espace où chacun apprend des autres et où chacun apprend aux autres ? Ceux qui y officient pensent et démontrent que l’égalité qui existe constitutionnellement ne peut exister en fait. Prenez cette chose totalement immatérielle qu’est l’esprit, la capacité à lire, écrire et compter : pour certains les maîtres n’ont qu’à en constater la possession, pour d’autres ils n’arrivent pas à la faire acquérir. Ils ne peuvent que classer les élèves, il le faut bien, pour que le capitalisme sache à quel type de travail les affecter. Et le tour est joué, une nouvelle génération d’élèves peut venir se faire ensorceler, venir se faire classer. Les maîtres renâclent pourtant à se faire ainsi les " petites mains " du capitalisme. Ils préfèrent être celles de la science. Mais c’est précisément celle-ci, son aptitude à réorganiser les travaux différemment selon l’échelle hiérarchique des savoirs, qui permet au capitalisme de se développer. Plus les découvertes scientifiques avancent et plus le capitalisme mobilise d’argent, et donc de travail, pour les appliquer à de nouvelles productions de profit. 
Présentation de l'éditeur :
Ce livre raconte l'histoire de l'école mutuelle dans la France de la Restauration. Une histoire totalement oubliée, interdite, car elle met en doute le caractère progressiste de notre école républicaine. De nombreux organisateurs du mouvement ouvrier, notamment Proudhon, en sont pourtant sortis. Cette école a été supprimée par les pouvoirs publics parce qu'elle marchait trop bien ! L'école mutuelle a été créée pour les pauvres, l'objectif est de sortir les enfants de la rue et de leur donner un savoir minimal conforme à leur classe sociale : lire, écrire, compter. Mais pour aller plus vite et faire moins cher, les élèves travaillent en petits groupes : ceux qui ont compris expliquent aux autres. Tour à tour, chacun est élève et répétiteur, en lecture pour les " bons ", en élevage des hannetons ou autre hobby pour les " mauvais ". Les différences de niveau ne sont plus un obstacle au bon fonctionnement mais deviennent son moteur. Or cette école a été fermée parce qu'on lui reprochait deux choses : les élèves apprenaient en trois ans le curriculum prévu pour six et ils n'apprenaient pas le respect du savoir !