Le Zoo sans éléphant

Ren Saito
L'Ecole des loisirs 1989

Les enfants de cette époque étaient différents.
C'étaient des enfants qui avaient vécu la guerre, ils avaient porté sur leur dos des sacs plus lourds qu'eux et traversé des flammes pour fuir lors des bombardements. Ceux dont le père était mort au combat avaient aidé leur mère, ramassé du bois pour le chauffage, transporté des seaux d'eau... Il y avait ceux qui, comme Hide, avaient travaillé dès l'age de huit ans et s'étaient occupés de leurs petites sœurs...
C'est pourquoi les enfants de cette époque avaient confiance en eux-mêmes et savaient se débrouiller pour survivre.
Et il y a aussi une autre raison.
Pendant la guerre, les adultes - les pères et les maîtres d'école - leur avaient répété sans cesse : "Rien n'est plus important que l'amour de la patrie !"
Pour cet amour de la patrie, les pères étaient morts par milliers...
Pour cet amour de la patrie, on avait tué les éléphants du zoo...
Puis le Japon avait perdu la guerre et le général MacArthur avait déclaré : "Tout ce que l'on vous a enseigné jusqu'à maintenant était faux."
Du jour au lendemain, à l'école, on avait fait rayer à l'encre noire tout ce qui était faux dans les livres de japonais et d'histoire que l'on avait utilisés jusqu'à la veille... Et les manuels dont les enfants avaient pris tant de soin s'étaient retrouvés tout noirs à force d'être passés à l'encre, car il y avait beaucoup plus de mensonges que de choses vraies dedans !
C'est pourquoi les enfants de cette époque savaient qu'il ne faut pas croire naïvement tout ce que disent les adultes. Il vaut mieux discuter et réfléchir entre nous, pensaient-ils.
Les enfants du quartier de Taito, qui se trouve près du zoo de Ueno, avaient formé une "Assemblée des enfants de Taito" qui se réunissait dans le bâtiment principal du temple du quartier. Comme au parlement ou au conseil municipal, ils avaient élu un "Président" et discutaient de toutes sortes de problèmes.
Lors de la deuxième réunion, on évoqua la lettre de Hide qui était parue dans le journal.
"Je propose que nous discutions du problème des éléphants du zoo de Ueno", dit Tokishi.
C'était un garçon de douze ans : c'est lui qui avait été élu "président". A côté de lui était assise Naoko, la "vice-présidente".
Les avis fusent de toutes parts.
"Réunissons suffisamment d'argent et achetons un éléphant !"
Facile à dire, mais même en supposant qu'on en trouve un à vendre en Inde ou en Thaïlande, comment faire pour le ramener au Japon ? C'est impossible.
"Demandons à MacArthur !" fit une voix.
"Les Américains nous envoient déjà plein de provisions et d'habits ; malgré cela il y a encore des enfants qui n'ont pas assez à manger. Laissons MacArthur tranquille, il a assez de soucis comme ça."
Ce soir-là, la séance se termina sur un conseil de Tokishi.
"Cherchons par quel moyen faire revenir des éléphants au zoo de Ueno."
Une dizaine de jours passèrent quand Takashi, un des membres de l'Assemblée des enfants dont le père était allé à Nagoya pour son travail, apprit ue nouvelle extraordinaire.
On croyait que tous les éléphants du Japon avaient été tués, mais en fait il y en avait deux au zoo de Higashiyama à Nagoya !
Takashi se précipita chez Tokishi.
"Quoi ! il y a des éléphants vivants au zoo de Nagoya ?"
"Oui, ils s'appellent Eldo et Manika !"
"Formidable !"
Trois jours après, le 2 mai, les enfants de Taito tinrent une réunion extraordinaire.
"Au Japon aussi, il restent des éléphants vivants !"
Les yeux de soixante enfants s'illuminèrent de joie.
"Il faut absolument que le zoo de Nagoya nous les prête !"
"Oui, mais est-ce qu'ils voudront bien ?" fit remarquer Tokishi.
"Il paraît que dans trois jours s'ouvrira l'Assemblée des enfants de Nagoya. Envoyons-leur une délégation pour leur expliquer que nous, les enfants de Tokyo, nous voulons voir de vrais éléphants... on verra bien..."
Tout le monde applaudit et la proposition est adoptée. Ce seront Tokishi et Naoko, le "président" et la "vice-présidente", qui iront à Nagoya.
l'école des loisirs