L'école mutuelle : Une pédagogie trop efficace ?

Anne Querrien
Les Empêcheurs de penser en rond - 2005

Nous sommes ensorcelés par le capitalisme. Nous travaillons pour lui, nous croyons qu’il faut travailler pour lui, non seulement pour vivre, mais pour augmenter ses profits afin qu’il puisse investir dans de nouvelles productions pour s’assujettir de nouveaux travailleurs, ou les mêmes travaillant plus vite et mieux. Le capitalisme a réussi à nous faire croire un temps que le progrès serait indéfini, que nous serions toujours plus nombreux à profiter de ses avantages, que la planète serait un jour civilisée toute entière, tout entière soumise aux promesses de la république : liberté, égalité, fraternité.
Les guerres, puis la conscience croissante du désastre environnemental, nous ont conduit à douter, à ne plus prendre pour argent comptant un horizon repoussé chaque jour plus loin par la réalité de la production de l’argent, par la financiarisation croissante de l’économie. Les inégalités se creusent.
Le capitalisme a installé déjà depuis plusieurs siècles l’espace où se forgent nos croyances, et où elles se dissipent aussi. Un espace où celui qui y croit réussit, un espace où celui qui doute a les résultats qu’il mérite. Dans cet espace doivent passer obligatoirement tous les petits d’hommes ; dans cet espace ils apprennent à travailler et à se jauger les uns les autres par les résultats de leur travail, et par bien d’autres dimensions non officielles, voire interdites. Cet espace peut-il être un espace de vie ? Accueille-t-il tous les enfants sans exclusive ? Est-ce un espace où chacun apprend des autres et où chacun apprend aux autres ? Ceux qui y officient pensent et démontrent que l’égalité qui existe constitutionnellement ne peut exister en fait. Prenez cette chose totalement immatérielle qu’est l’esprit, la capacité à lire, écrire et compter : pour certains les maîtres n’ont qu’à en constater la possession, pour d’autres ils n’arrivent pas à la faire acquérir. Ils ne peuvent que classer les élèves, il le faut bien, pour que le capitalisme sache à quel type de travail les affecter. Et le tour est joué, une nouvelle génération d’élèves peut venir se faire ensorceler, venir se faire classer. Les maîtres renâclent pourtant à se faire ainsi les " petites mains " du capitalisme. Ils préfèrent être celles de la science. Mais c’est précisément celle-ci, son aptitude à réorganiser les travaux différemment selon l’échelle hiérarchique des savoirs, qui permet au capitalisme de se développer. Plus les découvertes scientifiques avancent et plus le capitalisme mobilise d’argent, et donc de travail, pour les appliquer à de nouvelles productions de profit. 
Présentation de l'éditeur :
Ce livre raconte l'histoire de l'école mutuelle dans la France de la Restauration. Une histoire totalement oubliée, interdite, car elle met en doute le caractère progressiste de notre école républicaine. De nombreux organisateurs du mouvement ouvrier, notamment Proudhon, en sont pourtant sortis. Cette école a été supprimée par les pouvoirs publics parce qu'elle marchait trop bien ! L'école mutuelle a été créée pour les pauvres, l'objectif est de sortir les enfants de la rue et de leur donner un savoir minimal conforme à leur classe sociale : lire, écrire, compter. Mais pour aller plus vite et faire moins cher, les élèves travaillent en petits groupes : ceux qui ont compris expliquent aux autres. Tour à tour, chacun est élève et répétiteur, en lecture pour les " bons ", en élevage des hannetons ou autre hobby pour les " mauvais ". Les différences de niveau ne sont plus un obstacle au bon fonctionnement mais deviennent son moteur. Or cette école a été fermée parce qu'on lui reprochait deux choses : les élèves apprenaient en trois ans le curriculum prévu pour six et ils n'apprenaient pas le respect du savoir !