Apprendre sans l'école

John Holt
éditions l'Instant Présent - 2012

Extrait du premier chapitre "Agir c'est apprendre" :
Tout le monde ne donne pas au mot « éducation » le sens que je lui donne. Pour moi, l’éducation c’est « quelque chose que l’on se donne à soi-même, et non pas quelque chose qui est donné ou fait par quelqu’un d’autre. » J’ai cependant choisi d’utiliser ici ce mot avec le sens que lui donnent la plupart des gens, c'est-à-dire l’ensemble de ce que font des personnes – des éducateurs – à d’autres gens pour leur bien, en les modelant, en les façonnant, et en tentant de leur faire apprendre ce qu’elles-mêmes estiment qu’ils devraient savoir. Aujourd’hui, partout dans le monde, c’est ce que « l’éducation » est devenue et c’est contre cela que je m’insurge. On passe beaucoup de temps – et je l’ai fait moi-même pendant des années – à parler de la façon dont on pourrait rendre « l’éducation » plus opérante, efficace et vraiment universelle, ou encore à discuter des manières de la réformer et de l’humaniser. 
Hélas, la rendre plus opérante et efficace la rendra pire encore et lui permettra de causer toujours plus de dégâts. On ne peut pas la réformer, on ne peut pas la rendre plus sage ou plus humaine : ses objectifs ne sont ni sages ni humains. 
Juste après le droit à la vie, le plus fondamental des droits de l’homme est celui d’être maître de son esprit et de ses pensées. Cela implique le droit à décider soi-même comment on va explorer le monde qui nous entoure, celui d’évaluer ses propres expériences et celles des autres, et enfin le droit de chercher et de donner un sens à sa vie. Quiconque nous ôte ce droit, tout éducateur soit-il, s’attaque à l’essence même de notre être et nous cause une blessure profonde et durable. Car il nous affirme ainsi que nous ne pouvons pas nous faire confiance à nous-mêmes, même pour penser, que notre vie durant nous dépendront des autres pour connaître le sens du monde et celui de notre vie, et nos propres interprétations, faites au regard de nos expériences, n’ont aucune valeur. 
L’éducation, avec son fer de lance qu’est le système de scolarité obligatoire, avec toutes ses carottes, ses bâtons, ses notes, ses diplômes et ses références, m’apparaît aujourd’hui comme la plus autoritaire et la plus dangereuse des inventions humaines. C’est la racine la plus profonde de l’état d’esclavage moderne et mondialisé, dans lequel la plupart des gens ne se sentent rien d’autre que producteurs, consommateurs, spectateurs et « fans », motivés de plus en plus, dans tous les aspects de leur vie, par l’appât du gain, l’envie et la peur. 
Mon propos n’est donc pas d’améliorer « l’éducation » mais de faire sans, d’en finir avec ce système de formatage affreux et anti-humain, et de laisser enfin les gens se construire eux-mêmes.